mercredi 6 juillet 2011

Raisons de mon engagement

Qui n’a jamais envisagé, plus ou moins sérieusement, à l’occasion d’une catastrophe naturelle, d’un conflit ou d’une famine, de s’engager dans le milieu humanitaire afin d’apporter son aide aux populations en détresse ?
Si cette démarche personnelle est rare et ne concerne qu’une petite partie d’entre nous, la majorité préférera apporter son soutien sous la forme d’un don financier, qui n’est pas des plus inutiles pour autant. Pour les autres, s’engager directement auprès des populations dans le besoin a évidemment pour principal objectif de leur venir en aide, mais pas seulement.
Multiples peuvent être les sources de motivation : se rendre utile au-delà d’un simple engagement ponctuel, en consacrant tout son temps de travail à cette cause ; faire le choix de mettre ses compétences au service d’un projet mobilisateur et plein de sens ; aller se rendre compte par soi-même de la réalité du monde, loin du traitement médiatique, des à-priori et des idées reçues ; s’offrir la possibilité d’assumer de grandes responsabilités malgré sa jeunesse et son inexpérience, opportunité qu’offre rarement le milieu professionnel à l’instar de l’humanitaire ; tenter de donner une autre image de l’occident que celle, fantasmatique ou non, de l’exploiteur humain, financier et écologique ; vivre une expérience d’expatriation ; tenter de soulager sa conscience en réparant les dégâts causés directement ou indirectement par nos nations colonisatrices et nos modes de vie occidentaux dévastateurs ; le goût de l’aventure, du lointain, de l’inconnu et de l’exotisme ; profiter de cette situation propice à la réflexion intérieure et personnelle, loin des carcans du quotidien et de nos repères habituels, pour faire le point sur soi-même ; vivre une expérience humaine et culturelle unique ; et bien d’autres encore.
Pour ma part, c’est certainement un mélange de tout cela qui m’a amené à tenter l’aventure, sans toutefois une longue période d’hésitation et de non moins longues réflexions sur le sujet. Mais me voici aujourd’hui dans ce pays situé à plusieurs milliers de kilomètres de ma France natale, distance tout aussi gigantesque qui sépare le milieu dans lequel j’évolue désormais et ma culture originelle, mes repères et mes conditions de vie quotidienne. Je mentirais en disant posséder, avant ma préparation au départ, une once de connaissance sur ce pays ! Je n’aurais su que difficilement le situer sur une carte, en donner le nom de sa capitale, et encore moins apporter des éléments sur son histoire passée ou contemporaine.
A l’image de l’élève discret, installé dans un coin sombre et reculé de la salle de classe, laborieux, dont les bons résultats ne cessent de se faire attendre malgré l’aide immense dont il bénéficie, ce pays n’en finit pas de décevoir, accumule les mauvais notes et peine à trouver les solutions à l’équation du développement. Rapidement identifiée par les colons français comme une manne financière certaine grâce à son sol riche en matières précieuses, ceux-ci investir le territoire, y fondèrent une colonie qui deviendra plus tard le pays que nous connaissons aujourd’hui. Mais « rendre les clés du pays » à sa population ne voulait pas dire pour autant, dans l’esprit de la France, la laisser évoluer librement vers son destin. C’est, à ce sujet, un cas d’école de la « Françafrique » : ses dirigeants successifs, pilotés à distance et dans l’ombre de l’Elysée, n’auront pas droit à l’écart de conduite ni au faux-pas, sous peine d’un désaveu immédiat et complet voire d’un « remplacement » manu militari.
Ajoutés à cette instabilité politique, les crises internes au pays, une vision politique de très court terme, un climat difficile et vous obtiendrez alors la situation désastreuse actuelle : une très grande pauvreté de sa population, à majorité rurale et paysanne, une proportion importante de celle-ci vivant sous le seuil de pauvreté des 2$ de revenus par jour ; une absence quasi-totale de l’Etat dans les secteurs de la santé, de l’éducation, de l’accès à l’eau potable, de l’électricité, de l’entretien des routes et des infrastructures ; une espérance de vie de 45 ans en moyenne ; un très fort niveau de corruption ; un taux d’alphabétisation de 30% seulement pour les femmes ; et la 178ème place sur 182 nations sur l’indice de développement humain ! Le pays et sa population sont ainsi maintenus en état de survie, sous perfusion de l’aide internationale et de l’intervention de diverses ONG.
La province dans laquelle je suis basé, située à l’ouest du pays a connu quant à elle, au cours de la forte crise politique de 2003, d’importants mouvements de populations, rurales notamment. Afin de fuir les zones de conflit, celles-ci abandonnèrent dans la précipitation tous leurs biens, et vinrent se masser à la périphérie des villes, espérant bénéficier de la sécurité et de l’emploi. Mais c’était sans compter sur les bandits de grands chemins, groupes rebelles et autres braconniers d’ivoire sillonnant les routes et sentiers, en profitant pour voler, incendier, tuer et rançonner les villageois au passage.
Si plus aucun incident de ce genre n’est à déplorer depuis de nombreuses années dans la région, que le calme et la stabilité sont de retour et qu’une partie importante des populations déplacées sont retournées sur leurs terres, il n’en reste pas moins que celles-ci se retrouvent totalement démunies, sans aucune source de revenu, ni moyens de subsistance (outils, terre, bétails…)
Alertée par cette situation, consciente de ces difficultés et forte de ce constat, l’ONG pour laquelle j’interviens aujourd’hui a ainsi décidé de mettre en œuvre un projet visant à faire retrouver aux populations les plus vulnérables ses moyens de subsistance : relance de la culture agricole grâce à la distribution de semences ; augmentation de la production et de la rentabilité par la distribution d’engrais naturels et de semences plus performantes ; relance de la culture attelée grâce à la distribution de bêtes ; distribution de petit bétail ; formation des paysans à des techniques plus efficaces ; aide à la constitution de groupements agricoles et de coopératives afin de mutualiser les moyens et les compétences ; construction d’infrastructures agricoles ; relance d’autres activités génératrices de revenus subsidiaires ; et forage de puits pour un accès durable à l’eau potable.
Ainsi, me voici pour un an à la tête d’une équipe de 20 personnes, aux commandes d’un projet ambitieux et aux enjeux cruciaux, pour ne pas dire vitaux. Conscient de la difficulté de la tâche, de la grandeur du défi à relever et soucieux de ne pas décevoir les espoirs fondés par les populations à notre égard, je tenterai durant ce laps de temps d’apporter ma pierre à l’édifice. Plus qu’un objectif, mettre mes compétences et toute mon énergie au service de ces populations démunies, appréhender du mieux possible le contexte et les problématiques actuelles, redorer l’image de notre pays, démontrer l’existence d’une solidarité mondiale, et vivre pleinement cette grande aventure humaine, relèveront alors plutôt du sacerdoce !

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire